La réévaluation est l'opération qui consiste à modifier la valeur comptable d'un élément d'actif pour le porter à sa valeur actuelle. Son traitement fiscal diffère de son traitement comptable :
- l'article L 123-18 du Code de commerce énonce que la plus-value constatée entre la valeur d'inventaire d'un bien et sa valeur d'entrée n'est pas comptabilisée, et l'écart de réévaluation constaté entre la valeur actuelle et la valeur nette comptable doit être inscrit distinctement au passif du bilan. Il en résulte que la plus-value dégagée lors de la réévaluation, égale à la différence entre la valeur actuelle et la valeur nette comptable, ne constitue pas un élément du résultat comptable, mais que le montant de l'écart de réévaluation doit être inscrit parmi les capitaux propres – voire incorporé en tout ou partie au capital (C. com. art. L 232-11) - sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'il se rapporte aux éléments amortissables ou aux éléments non amortissables ;
- l'article 38, 2 du CGI précise, pour sa part, que l'écart de réévaluation constitue un produit imposable au taux de droit commun, dans la mesure où il entraine un accroissement de l'actif net, imposable en vertu de l'article 38 du CGI (CE 29 oct. 1986 n°49745, RJF 12/86 n°1060).
L’article 31 de la loi n°2020-1721 du 29 décembre 2020 portant loi de finances pour 2021 a inséré dans le Code général des impôts un nouvel article 238 bis JB, qui modifie les conséquences fiscales de la réévaluation libre des bilans, étant toutefois précisé que ce texte vise exclusivement les opérations effectuées dans les conditions prévues à l'article L 123-18, et n'a donc pas pour effet d'instituer un régime dérogatoire aux règles prévues par le Code de commerce. On notera par ailleurs que ce régime est optionnel, de telle sorte que les entreprises peuvent décider de demeurer sous l’empire du dispositif ordinaire.
Toutes les entreprises soumises aux règles de la comptabilité commerciale pouvant bénéficier de ce dispositif, il en va ainsi des sociétés immobilières, aussi nous parait-il intéressant de brosser un tableau descriptif tant du principe de la réévaluation libre que des apports législatifs récents.
La réévaluation libre des bilans n’est pas d’application générale. Si elle peut être théoriquement pratiquée par toute personne morale tenant une comptabilité – et donc, autant par les sociétés civiles que par les sociétés commerciales - la jurisprudence restreint cependant le champ d’application de la réévaluation des bilans aux seules entreprises astreintes à la tenue d’une comptabilité, excluant ainsi les sociétés civiles immobilières soumises au régime fiscal des sociétés de personnes, et dont aucun des associés n’est soumis au régime des bénéfices industriels et commerciaux : les réévaluations libres auxquelles procéderait une SCI non astreinte à la tenue d'une comptabilité commerciale se voient ainsi dépourvues de conséquences fiscales (CE 19 sept. 2018, n°409864 : FR 44/18 inf. 1 p. 3), et les résultats des exercices postérieurs à celui de la réévaluation doivent être déterminés en tenant compte d’amortissements calculés d'après la valeur d'origine des immeubles, et non d'après leur valeur réévaluée. Par ailleurs, l'article L 123-18 du Code de commerce prescrit qu’elle doit porter sur l'ensemble des immobilisations corporelles et financières, de telle sorte que les entreprises n'ont pas la possibilité de procéder à une réévaluation partielle de leurs immobilisations, sauf à la limiter, en définitive, à certains éléments d'actif lorsqu'il apparaît que la valeur comptable des autres immobilisations correspond à la valeur actuelle. Ses incidences procèdent en principe de l’article 38,2 du Code général des impôts, et nous les rappellerons succinctement :
- les plus-values résultant de la réévaluation d'éléments d'actif entraînent une variation d'actif net au sens l'article 38, 2 du CGI et participent ainsi d’un profit imposable, de telle sorte qu’elles ne peuvent bénéficier du régime des plus-values à long terme qui ne s'applique qu'aux plus-values consenties lors de la cession d'éléments d'actif (CE 29 oct. 1986 n°49745, RJF 12/86 n°1060) ;
- l'amortissement des biens qui ont fait l'objet de cette réévaluation est calculé par rapport à la valeur comptable réévaluée (CE 8 févr. 1999 n°161306, Sté industrielle de métallurgie avancée (Sima), RJF 4/99 n°428) mais doit être en principe déterminé d’après la durée résiduelle telle qu'elle résulte du plan d'amortissement initial, sauf à justifier de nouvelles conditions d'exploitation. L'administration fiscale permet toutefois à l'entreprise de proroger la durée d'amortissement initialement retenue, et de déterminer un nouveau taux d'amortissement en fonction de la durée probable d'utilisation restant à courir au moment de la réévaluation (BOI-BIC-AMT-20-10 n°350), ce qui implique de déterminer un nouveau plan d'amortissement pour les biens qui seraient totalement amortis à la date de la réévaluation ;
- les pertes de valeur constatées à raison d'immobilisations réévaluées donnent lieu à la constitution d'une provision pour dépréciation.
- la nouvelle valeur comptable assignée à l'élément réévalué doit être retenue pour le calcul de la plus-value ou de la moins-value résultant d'une cession ultérieure de cet élément (BOI-BIC-PVMV-40-10-60-20 n°40, 12-9-2012).
Les sociétés immobilières ne sont pas exclues du champ d’application de cette faculté. Ces sociétés, propriétaires de biens qu’elles donnent en location - qu’il s’agisse d’immeubles nus ou meublés, de terrains nus ou aménagés – peuvent, à l’instar de toute entreprise, procéder à l’inscription au bilan, puis à l’amortissement, de ces biens (CE 27 oct. 1986 n°37203, RJF 12/86 n°1050). On rappellera, à ce sujet, que lorsque l’entreprise donne en location un immeuble meublé, les meubles doivent être portés en immobilisation au même titre que les immeubles, mais doivent faire l’objet d’un amortissement séparé, selon la méthode des biens décomposés ; la réévaluation libre atteint alors non seulement les immobilisations immobilières, mais aussi les immobilisations mobilières.
Cet amortissement appelle, en tout état de cause, deux remarques.
On doit tout d’abord relever que si les constructions figurant à l'actif de l'entreprise peuvent faire l'objet d'un amortissement normal, même si cet amortissement excède sensiblement la valeur locative, seul le prix de revient de la construction, à l'exclusion de celui du sol, est susceptible d'être amorti (BOI-BIC-AMT-10-20 n°10, 31-12-2012) ; cette règle participe du corollaire au principe selon lequel les immobilisations qui ne se déprécient pas avec le temps, comme les terrains, ne donnent pas lieu à un amortissement : il en est ainsi des terrains d'assiette des immeubles bâtis, même si ces derniers occupent toute la superficie et n'ont pas vocation à être cédés en vue d'une reconstruction, et l’amortissement est alors circonscrit à la seule la fraction du prix de revient se rapportant aux constructions (CE 8 janv. 1943 n°47609, RO p. 247, RI 6123 ; CE 18 janv. 1989 n°56752, RJF 3/89 n°262. V. aussi BOI-BIC-AMT-10-20 n°230, 31-12-2012).
Il convient ensuite de remarquer que l’amortissement des biens donnés en location, ou mis à disposition sous toute autre forme, fait l’objet de limitations, énoncées par l’article 39 C, I du code général des impôts, à savoir que :
- ces biens doivent être amortis sur leur durée normale d'utilisation, et non sur la durée du contrat de location (ou de mise à disposition) (CGI, art. 39 C, I),
- s’agissant des locations consenties par une société de personnes translucides, lorsqu'une fraction des droits de la société de personnes revient à un associé personne physique, la déduction de l’amortissement correspondant aux droits des associés personnes physiques ne peut excéder, au titre d'un même exercice, le montant du loyer acquis, ou de la quote-part de résultat de la copropriété, diminué du montant des autres charges afférentes à ces biens ou parts.
Cette dualité de régimes emporte pour conséquence que lorsque la société de personnes comprend à la fois des associés personnes physiques et des associés personnes morales soumises à l'IS et non utilisatrices, il convient d'opérer une double détermination du résultat fiscal.
Le nouveau dispositif instauré par l’article 238 bis JB du code général des impôts ne remet pas essentiellement en cause ces principes, mais modifie les incidences fiscales de la réévaluation libre, distinguant selon que le bien est amortissable ou non amortissable. On peut par ailleurs noter que le législateur n’a pas remis en cause le principe selon lequel la réévaluation libre des bilans participe d’un acte de gestion opposable à l’entreprise (CE 26 nov. 2018 n°413404, RJF 2/19 n°125).
La réévaluation des immobilisations amortissables bénéficie d’un étalement d’imposition. L'écart de réévaluation afférent à des immobilisations amortissables n'est pas immédiatement pris en compte dans le résultat imposable, mais fait l'objet d'une réintégration extra-comptable par fractions égales dans les résultats de l'entreprise, à partir de l'exercice suivant :
- sur une durée de 15 ans pour les constructions et, à condition que ces éléments soient amortissables sur une période au moins égale à 15 ans, les plantations (plantations de vergers et de vignes …) ainsi que les agencements et aménagements de terrains (clôtures, travaux de drainage, aménagements de parking à ciel ouvert …) : ce délai devrait donc constituer le délai général de réintégration applicable aux immeubles bâtis des sociétés immobilières ;
- sur une durée de 5 ans, pour les autres immobilisations : ce délai devrait trouver à s’appliquer, par exemple, aux immobilisations mobilières détenues par les sociétés de location meublée.
Le législateur n’altère pas le principe selon lequel, en contrepartie de la réintégration de l'écart de réévaluation, les amortissements, provisions et plus-values ultérieurs doivent être calculés à partir des valeurs réévaluées.
On notera toutefois qu’en cas de cession de l'immobilisation avant l’expiration de ces délais, la fraction de l'écart de réévaluation éventuellement non encore réintégrée fait l'objet d'une imposition immédiate : ainsi par exemple, si une entreprise a, lors d’une réévaluation opérée au terme de l’exercice clos le 30 juin 2021, constaté un écart de réévaluation d’un immeuble locatif pour 15 000 €, et devra le réintégrer au cours des exercices 2022 à 2036 à hauteur de 1 000 € par exercice ; si elle cède cet immeuble au cours de l’exercice 2025, alors qu’elle a déjà réintégré 3 000 €, elle devra solder la réintégration (soit 12 000 €) au cours de cet exercice.
L’article 238 bis JB du CGI introduit en outre une obligation documentaire complémentaire, destinée à assurer le suivi par l'administration fiscale de l'opération et de ses conséquences. Ainsi, l'entreprise qui aura opté pour le régime devra joindre, à chacune des déclarations de résultat de l'exercice au titre duquel la réévaluation est réalisée et des exercices suivants, un état mentionnant tous les renseignements nécessaires au calcul des amortissements, des provisions et des plus-values ou moins-values afférents aux immobilisations réévaluées.
La réévaluation des immobilisations non amortissables ouvre droit à un sursis d’imposition. L’article 238 bis JB du CGI énonçant que l'écart de réévaluation afférent aux immobilisations non amortissables n'est pas inclus dans le résultat au titre de l'exercice au cours duquel la réévaluation est opérée, à la condition que l'entreprise s'engage à calculer la plus ou moins-value de cession ultérieure de l'actif à partir de sa valeur non réévaluée (dans les cas particuliers où la valeur fiscale des immobilisations non amortissables avant réévaluation diffèrerait de leur valeur comptable, le calcul de la plus ou moins-value de cession ultérieure devrait être fondé sur la valeur fiscale), force est de reconnaitre que la différence constatée entre le prix de cession et la valeur non réévaluée participe, pour sa totalité, d'une plus-value (ou d'une moins-value) : c’est donc ici le régime des plus-values de cession d’actif qui retrouve son empire.
On remarque ainsi que le législateur a ouvert une brèche dans le mécanisme d’imposition prévu par l’article 38,2 du Code général des impôts, dont il convient de tirer toutes les conséquences : non seulement, les dispositions du CGI qui régissent l'imposition des plus et moins-values (et notamment les articles 39 duodecies et 219, I-a quinquies) doivent s'appliquer à l'intégralité de cette plus-value (ou moins-value), mais encore le nouveau texte ne fait nullement obstacle à ce que la totalité de la plus ou moins-value de cession ultérieure d'une immobilisation non amortissable bénéficie, le cas échéant, du régime des plus ou moins-values à long terme - y compris pour la fraction correspondant à l'écart de réévaluation dont l'imposition aura été mise en sursis.
Ainsi par exemple, une société donne en location un terrain qu’elle acquit en N moyennant le prix de 15 000 €, et procède à une réévaluation de ce terrain en N + 5, le portant à l’actif de son bilan pour une valeur de 5 000 €, avant de revendre ce terrain en N + 12 pour un prix de 26 000 € : la plus-value de revente s’établira à (26 000 – 15 000) 11 000 € et pourra bénéficier du régime des plus-values à long terme.
S’agissant d’une plus-value de cession, elle devrait également bénéficier de l’exonération prévue à l’article 151 septies, si les conditions tenant au régime d’imposition de la société et au bien cédé sont remplies : cette exonération s’applique en effet aux plus-values à long terme autant qu’aux plus-values à court terme (BOI-BIC-PVMV-40-10-10-30 n° 10, 12-9-2012) ; le mode de calcul de la plus-value de revente des biens non amortissables instauré par l’article 238 bis JB conduit ainsi à faire bénéficier de cette même exonération la plus-value de réévaluation (en principe exclue du bénéfice de ce dispositif : CAA Nancy 30-12-2000 n°96-2700, Deselu, RJF 11/01 n°1355), qui se trouve alors « englobée » dans la plus-value de cession.
Ainsi par exemple, une SARL translucide propriétaire d’un terrain (bien non amortissable) non constructible qu’elle donne à bail, a acquis ce terrain en N, moyennant le prix de 5 000 €, procède à une réévaluation de 3 000 € en N + 5 (le bien étant alors porté au bilan pour une valeur de 8 000 €) et le revend en N + 12, moyennant le prix de 15 000 € :
- Sous le régime ordinaire, l’écart de réévaluation de 3 000 € participe d’un produit imposable, tandis que la plus-value de revente s’élève à (15 000 – 8 000) 7 000 € : l’exonération prévue par l’article 151 septies s’applique seulement à cette dernière plus-value ;
- Sous le régime optionnel, l’écart de réévaluation est neutralisé, tandis que la plus-value de revente s’élève à (15 000 – 5 000) 10 000 € : l’exonération prévue par l’article 151 septies s’applique à l’ensemble de cette plus-value.
Complété par l'article 31 de la loi, l'article 39, 1-5°-al. 26 du CGI prévoit par ailleurs que les provisions pour dépréciation des actifs non amortissables ayant fait l'objet d'une réévaluation dans les conditions prévues à l'article 238 bis JB du CGI sont déterminées par référence à la valeur fiscale de ces actifs, à savoir leur valeur non réévaluée : la provision dotée en comptabilité ne sera donc déductible, au plan fiscal, que si la valeur réelle de l'actif devient inférieure à sa valeur fiscale.
La portée de ce nouveau dispositif est cependant limitée, dans la mesure où ce nouveau régime n’a pas vocation à remplacer le régime « ordinaire » de l’article 38,2, et qu’il n’est pas obligatoire : les entreprises immobilières qui pratiquent une réévaluation libre de leur bilan peuvent soit demeurer sous le régime général, institué par l’article 38,2 du CGI, soit opter pour le nouveau régime de neutralisation instauré par l’article 238 bis JB. Une entreprise en situation déficitaire pourrait ainsi avoir intérêt à demeurer sous le régime ordinaire, dans la mesure où l’écart de réévaluation participe d’un produit d’exploitation, sur lequel peuvent être imputés les déficits.
Son application est également limitée dans le temps, puisqu’il est applicable à la première réévaluation libre des actifs opérée au terme d'un exercice clos entre le 31 décembre 2020 et le 31 décembre 2022. Ainsi donc :
- une entreprise qui procèdera à une réévaluation libre sous le nouveau régime au cours de l’année 2021, puis à une seconde réévaluation au cours de l’année 2022, ne pourrait pas revendiquer le bénéfice du régime de neutralisation au titre de la réévaluation de 2022.
- une entreprise qui procèdera à une réévaluation libre sous le régime ordinaire au cours de l’année 2021, puis à une seconde réévaluation au cours de l’année 2022, ne pourrait pas revendiquer le bénéfice du régime de neutralisation au titre de la réévaluation de 2022.
Emmanuel CRUVELIER
Docteur en droit,
Fiscaliste